Nomophobia

La grande catastrophe : le portable !

«La plus grande catastrophe après la guerre, c’est le portable!», déclarait récemment Fabrice Luchini dans TV Mag. Dans cette interview, le comédien rappelait le risque pour notre cerveau «de ne s’abreuver que de clashs, de colères et devenir de plus en plus binaire» à force de consulter Twitter ou TikTok sur son smartphone… tout en reconnaissant «être accro à cette cochonnerie». Les propos de l’acteur illustrent bien notre ambivalence autour du téléphone portable dont nous savons qu’il nous rend plus sédentaires, nuit à notre concentration et perturbe notre sommeil… mais dont nous ne parvenons pas à nous en passer pour autant

Une journée sans portable ?

Pour beaucoup de personnes, consulter son smartphone est le premier geste machinal de la journée. Le faire aux toilettes, en salle d’attente ou en pleine séance de cinéma n’a plus rien d’incongru. Un sondage de Bouygues Télécom en 2018 révélait que 62% des Français ne pouvaient passer une journée sans leur téléphone, une proportion qui a continué à augmenter depuis quatre ans.

Réseaux sociaux, tchats, paris en ligne, jeux… À partir de quand peut-on parler de dépendance? Lorsque l’utilisation du smartphone s’impose à nous, ainsi que le ferait une substance comme le tabac. «Nous perdons le contrôle, nous sommes pris d’une pulsion irrépressible», illustre le psychiatre Christophe Cutarella, auteur d’un blog sur les addictions. Le risque est d’autant plus élevé que le téléphone est toujours à portée de main. L’écrivaine américaine Melissa Broder, auteure du livre tiré de son compte twitter So Sad Today (Édition de l’Olivier) où elle parle de sa dépression, estime même que l’iPhone est à l’ordinateur ce que le crack est à la cocaïne… En juin 2018, dans le Journal of Behavioral Addictions, des chercheurs ont mis en évidence une corrélation entre la surconsommation de smartphone et divers problèmes psychiques comme l’anxiété, la dépression, le stress et la mauvaise image de soi.

Nomophobie...

Si la notion d’addiction pour le smartphone ne fait pas consensus chez les chercheurs, ils ont bien identifié le phénomène de la «nomophobie», cette peur de ne pas avoir son portable disponible. «Lorsque j’ai moins de 5% de batterie, je me mets à stresser. Je me sens démuni alors je vais immédiatement dans un café pour emprunter un chargeur au barman. Je sais que c’est irrationnel car je n’attends pas d’appel important, témoigne Aymeric, 38 ans. Dans mes cauchemars, il y a souvent cette scène où je m’enfonce dans l’eau avec le portable dans la poche, me demandant s’il va supporter le choc», poursuit le cadre en entreprise.

FOMO : Fear Of Missing Out

Les applications pour smartphone offrent des stimulations en permanence, ce qui provoque chez les accros une crainte de rater quelque chose (on parle de FOMO, «fear of missing out») dès que l’appareil n’est plus disponible. Les adolescents sont particulièrement exposés à cette peur ne pas «exister» dans le monde digital. «Des jeunes préfèrent leur smartphone aux relations sociales, voire amoureuses et sexuelles. Leur identité numérique a plus d’importance que le reste», indique Christophe Cutarella. D’après une enquête menée en 2021 par le site Fairparterie, 63% des adolescents passent plus de temps sur les écrans qu’avec leurs amis dans la vie réelle.

Une utilisation pathologique du smartphone peut aussi signaler le besoin de combler une angoisse, un vide intérieur. «Beaucoup de patients en addictologie cherchent à fuir une réalité qui les dérange», précise Xavier Pommereau, psychiatre à la clinique Béthanie de Talence. Spécialiste de l’adolescence en difficulté, le médecin estime que la moitié de ses patients ont développé une dépendance aux écrans, nécessitant parfois des programmes de sevrage progressif. «Ceux-ci fonctionnent d’autant mieux que l’individu reporte du temps sur des activités alternatives comme le sport ou un instrument de musique», ajoute-t-il. Une de ses patientes s’est ainsi remise à l’équitation, une autre à la natation.

Un Noël sans portable ?

Sans se lancer dans une thérapie spécifique, tout un chacun peut appliquer des conseils de bon sens pour réduire sa dépendance au téléphone mobile : désactiver les notifications, s’interdire de poser l’appareil sur la table pendant les repas, passer en mode avion à partir de 22h… La plupart des appareils proposent en outre de paramétrer la durée d’utilisation quotidienne, au-delà de laquelle l’utilisateur reçoit une notification. Enfin, pour donner l’exemple aux enfants, il est recommandé d’organiser des journées ou week-ends sans smartphone, par exemple une fois par mois. L’occasion de se promener en famille ou de se lancer dans des jeux de société. Un Noël sans écran, chiche?

Interview réalisée par Thomas Lestavel pour le Le Figaro, déc 2022.

Rédigé par

Docteur Christophe Cutarella

Psychiatre Addictologue Tabacologue
Société d'ingénierie pédagogique en santé mentale (addictologie t et Burn out) spécialisée dans le conseil et l'expertise.